Un Picon bière s’il vous plaît !
Consommé principalement avec de la bière, le Picon lui est si étroitement associé qu’on aurait tendance à lui attribuer des origines tout aussi nordiques.
II n’en est rien, puisque la naissance de cet alcool amer se situe sur le pourtour méditerranéen, sous le soleil de l’Algérie française. Et, à l’origine, il ne s’agit pas d’un apéritif récréatif, mais d’un médicament.
En 1837, le jeune Gaétan Picon, jeune homme de 21 ans, originaire de la riviera génoise à l’époque où Gènes était province française, est cavalier dans les rangs de l’armée française à Philippeville (l’actuelle Skikda, en Algérie).
Affaibli, comme tant de ses camarades, par la soif et la fièvre du paludisme, il décide de se soigner lui-même par une tisane de sa composition à base d’écorce d’orange, d’écorce de grenade, d’écorce de quinquina et d’eau de vie.
Le succès de cette « tisane » désaltérante et fébrifuge se diffuse si rapidement dans les rangs de l’armée que le général Valée, futur gouverneur général de l’Algérie (1837-1840), ordonne à Gaétan Picon d’augmenter la production afin d’approvisionner les troupes.
En 1839, Gaëtan quitte l’armée et se fixe à Philippeville où il installe une distillerie de fortune.
Sa tisane est aussitôt adoptée par les colons, heureux de disposer d’un élément de coupage et de purification d’eau, savoureux, tonique et médicalement bienfaisante. En l’espace de dix ans, le génial inventeur ouvre à Alger, trois fabriques pour distiller “L’Amer Algérien” qui deviendra “l’Amer PICON”.
La guerre de 1870 fait découvrir à la Provence l’amère et stimulante boisson algérienne ramenée par des unités mobiles des Bouches-du-Rhône venues remplacer d’autres troupes rappelées en métropole. La demande a tellement explosé que des distilleries prolifèrent en Algérie, puis en métropole, où l’amer est rebaptisé du nom de son créateur, après le retour de Picon à Marseille.
Coupé à l’eau froide, pétillante ou pas, mélangé à l’eau chaude et au miel en guise de grog, au lait, au vin, au tonic, le Picon se consomme sous plusieurs formes, devenant, dans les années 1930, «l’apéritif préféré des Français ».
Mais c’est en 1967 que la marque réalise une opération commerciale au succès spectaculaire, en proposant le mélange Picon et bière.
Apéritif néo-rétro le Picon quitte alors les tables du pourtour méditerranéen pour séduire les consommateurs du nord de la France. Et surtout pour bousculer les habitudes locales. En effet, dans les régions productrices et consommatrices de bière, il est de tradition, lors des apéros festifs, d’ajouter à cette boisson des liqueurs à base de fruits et d’épices : on les appelle les « amers bière ».
Le Picon supplante bientôt la production locale, et devient leader de cette catégorie d’alcools.
Selon Moët Hennessy Diageo, distributeur du Picon, la région Nord-Est concentrait en 2016 plus des deux tiers des 4,6 millions de litres de cette boisson vendus en France.
Le Picon bière, un apéro régional désuet ? Un peu. Mais, en 2012, à l’occasion du 175e anniversaire du Picon, la marque a récupéré cette image démodée pour mieux renverser la tendance.