Tout était dit lorsque le 5 juillet 1830 le dey d’Alger et le comte de Bourmont, général en chef de l’armée française, signent la convention concernant la reddition d’Alger. Une disposition prévoit que « L’exercice de la religion mahométane restera libre : la liberté des habitants de toutes classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte ; leurs femmes seront respectées. Le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur. »
Cette disposition, honorable, s’avèrera lourde de conséquences concernant les évolutions du statut des populations autochtones. En effet, ne pas attenter à la religion islamique c’est implicitement maintenir l’application du droit coranique qui régit notamment la propriété, le commerce et l’industrie précités.
Les décisions prises par les gouvernements successifs, jusqu’au sénatus consulte de 1865 buteront sur cette obligation.
Au cours de ces décennies se dessine pourtant une souhaitable assimilation progressive des populations indigènes. L’assimilation aboutirait à traiter chaque musulman comme tout citoyen français, droits et devoirs compris, dans le cadre bien évidemment du seul droit commun avec notamment pour conséquence l’application du code civil français, substitué ainsi au droit coranique.
Pareil obstacle découragea les « progressistes » les plus déterminés et l’empereur Napoléon III se résigna à promulguer le sénatus consulte du 14 juillet 1865 :
« L’indigène musulman est français : néanmoins il continue à être régi par la loi musulmane. Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. Il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie. Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits des citoyens français ; dans ce cas, il est régi par les lois civiles et politiques de la France. »
Par ce texte l’Indigène est devenu Français et lui est offerte la possibilité d’acquérir ce que les juristes qualifient « d’augmentation de capacité » et qui en fait un citoyen. Mais pour acquérir cette qualité il doit accepter de ne plus être régi par le droit coranique.
Malgré une procédure simplifiée pour l’obtention du plein statut de citoyen français, les populations musulmanes refuseront cette voie. Les responsables religieux assimileront pareille démarche à « renier leur foi ». Ainsi en 1870, 250 personnes seulement ont demandé l’application de cette disposition. En 1900 ils étaient 1151 à bénéficier de la citoyenneté. L’immense majorité musulmane préférera « le statut personnel ». De fait le sénatus consulte restera en vigueur jusqu’au 7 mai 1946.
Ce choix presque unanime est dicté par la crainte de perdre le bénéfice de coutumes auxquelles l’indigène est attaché et par celle d’être rejeté par son milieu familial et social. Il redoute par ailleurs une astreinte à certaines obligations ou interdits qu’il juge insupportable.
Où se situe donc cette frontière qui sépare les avantages du « statut personnel » de ceux de la pleine citoyenneté française ?
Premier impact déterminant : l’abandon du droit coranique de la famille. La vie de famille relève de la loi religieuse musulmane qui consacre la polygamie, le droit de concubinage du chef de famille avec les servantes, le droit de correction corporelle du mari sur ses femmes et de répudiation de celles-ci, le droit de contrainte matrimoniale du père sur ses enfants mineurs. Le premier mariage est un contrat civil passé entre les pères ou tuteurs des fiancés.
Seul point favorable à la femme musulmane : elle peut faire valoir elle-même ses biens propres et à disposer de ses revenus, ce qui reste toutefois dans l’immense majorité des cas, un droit virtuel. La femme musulmane n’acquiert en fait la liberté juridique que lorsqu’elle devient veuve. En fait le chef de famille est le maître absolu et il entend le rester, d’où sa réticence à devenir justiciable du droit civil français.

Et alors, qui disait la loi pour les musulmans ?
La justice musulmane maintenue au civil et au commercial avec un découpage en 123 circonscriptions (mahakma ou djemaa en Kabylie), est rendue par le cadi assisté de deux adel et un greffier. Au pénal la justice relève des tribunaux de droit commun français.

Pour en savoir plus :
Lire ‘’Organisation de la justice musulmane’’, A. MARTINOT, éditions EMILE MARLE, CONSTANTINE 1900
Ouvrage à consulter au Centre de Documentation des Français d’Algérie, 1 rue général Derroja 66000 Perpignan.